Cette comptine aurait pu rester charmante si Emilie Guillaumin n’en avait pas ponctué son texte, et au fil des pages, la petite chanson se fait inquiétante par les voix de Pierre et Thomas, le mari et le fils de Sarah. Ces deux-là s’entendent bien, très bien, trop bien peut-être, alors que Sarah s’enfonce, perd pied, se noie. Le texte est raconté à la première personne et entrecoupé des pages du journal de la narratrice. Deux ans après leur rencontre, Sarah est tombée enceinte sans désir sous le regard énamouré de Pierre. Pierre l’aime, la comble, devance ses envies, impose les siennes ; on ne sait pas très bien s’il est simplement charmant ou vraiment monstrueux. Par le regard de Sarah son comportement est double, louche, on soupçonne un truc pas net, on attend le coup fatal et on assiste impuissant à la descente aux enfers de Sarah. Car depuis qu’elle a arrêté de travailler aux RH d’un grand groupe pour se consacrer à l’écriture d’un roman, rien ne va plus. Migraines, saignements, perte de cheveux et fatigue intense, le corps de Sarah réagit. Psychologiquement elle se fragilise, s’interroge, souffre et sombre, devient folle. Pourtant de l’extérieur, leur famille paraît idéale.
Un roman âpre, inquiétant qui sonne juste. Sarah nous entraîne dans sa chute, on peut ressentir ses doutes et sa douleur bien que l’on soit un peu perdu aussi, ne sachant démêler le vrai du faux, les actes des chimères, des inventions, des fantasmes. La fin est stupéfiante et un peu écœurante, j’avoue avoir tourné la dernière page avec un vif sentiment de malaise. Un roman qui ne peut pas laisser indifférent !
Petites dents grands crocs / Emilie Guillaumin – Editions Harper Collins – janvier 2023 – 272 pages