Oriane Jeancourt Gariglani est journaliste. Et c’est le style parfaitement maîtrisé de son second roman L’audience. Un livre qui ne m’a pas laissée indifférente, qui soulève pas mal de questions. Récit d’un fait divers.
D’abord la vraie histoire dont l’auteur s’est inspirée : En 2001, au Texas, Brittni Colleps, prof d’histoire de 28 ans, mère de 3 enfants, mariée à un soldat en mission en Afghanistan, est jugée pour avoir eu des relations sexuelles avec cinq de ses étudiants, majeurs et consentants, chacun leur tour puis, comble de l’horreur, tous ensemble ! Elle est condamnée à 5 ans de prison.
Dans le roman, Brittni s’appelle Deborah et ce n’est pas avec 5 mais 4 étudiants qu’elle couche. A part ça, c’est la même histoire, découpée ici en quatre parties pour les quatre jours d’audience. L’auteur raconte chaque journée du procès et parallèlement, en mettant en scène les pièces à conviction, donne vie aux faits. Une photo exhibée au tribunal nous conduit tout droit dans la chambre des Aunus où la scène de sexe entre Debbie et Quentin est décrite de façon placide. Un texto, et nous voilà dans la Lexus de Debbie, sur le parking du lycée où elle attend Stephen pour se livrer à une petite partie de jambes en l’air juste avant de rejoindre sa classe… et finalement l’abjecte vidéo de la réunion sexuelle, et nous assistons impuissants à la chute de Debbie.
Pendant son procès, Deborah ne prononce pas un mot, peut-être parce qu’elle sait déjà que tout est joué, que rien ni personne ne peut la défendre dans cet état du Texas qui interdit à un enseignant d’avoir des relations sexuelles avec un étudiant de son établissement, quel que soit son âge, dans cette Amérique ultra-puritaine qui autorise toute personne majeure à posséder une arme à feu mais s’offusque quand des adultes ont des relations sexuelles consenties. Mais qui sont ceux qui jugent, pour juger un tel acte ? Au nom de quelle morale ? Le crime de Brittni/Debbie est-il d’avoir éprouvé du désir, et d’être passée à l’acte avec des hommes un peu plus jeunes qu’elle ? Il est où le problème ? A qui Brittni/Debbie a-t-elle causé du tort ? A ses étudiants ? qui n’ont pas dû bouder leur plaisir : se taper sa prof, un vieux fantasme… Alors qui a eu à souffrir de cette situation ? Son mari et ses enfants. Ne dit-on pas qu’il faut laver son linge sale en famille, don’t wash your dirty clothes in public (merci Chris pour la traduction :)) ?
J’ai trouvé ce procès abominable, l’acharnement de Liz Lettown, la procureure pour tenter de faire passer cette femme pour une perverse, une anormale, une malade mentale et ainsi justifier une condamnation, elle qui a eu une relation adultère avec le juge. Le mépris des jurés, dont un trouve là enfin le rôle de sa vie. Et l’autre qui frôle la syncope en regardant la vidéo où les corps s’emmêlent. D’ailleurs, Debbie et ses petits amis auront finalement profité assez peu, un mois seulement au terme duquel, un quatrième larron, David, se joint à eux, la fameuse soirée de l’orgie, il contourne les règles tacites, filme la scène et le visage de Debbie en gros plan et poste tout ça sur les réseaux sociaux. Ah les joies de la vie en province où tout le monde se connait, se surveille, se jauge, se juge et condamne.
Dans ce roman pourtant, les actes ne sont pas jugés, les personnes non plus, pas de tentatives d’explications psychologiques, pas de recherches dans le passé de névroses ou de traumatismes pour expliquer. Pourquoi Debbie passe à l’acte, pourquoi sa mère l’enfonce, pourquoi son mari est si charitable, de quoi se venge David ? Dans ce roman, on n’explique pas, on décrit. Pas de pathos, ni de sentiments, ni d’émotions, excepté les nôtres. Alors évidemment difficile de prendre parti, on est seul avec nous-même et face à nos questions, nos convictions. Quant à moi, je ne décolère pas, je trouve cette justice injuste, ce déballage de la vie intime abject, je pense à Brittni Colleps, comment va-t-elle se reconstruire après ça ? Qu’a-t-elle fait de mal, à qui ? On l’a enfermée, privé ses enfants de leur mère, le mari déjà humilié doit en plus gérer la situation, faire face aux regards… Pouah !! Quel gâchis, c’est cher payer je trouve.
http://abcnews.go.com/US/brittni-colleps-texas-teacher-group-sex-students-shes/story?id=17338821